Les réfugiés qui rejoignent l'Europe sont souvent traumatisés. Beaucoup ont besoin d'aide psychologique. Mais la Suisse manque de places de thérapie et la volonté politique de prendre en charge les coûts de traduction fait défaut. Les conséquences peuvent être graves.
La guerre, la torture, le viol: les mêmes images reviennent sans cesse. Rien qu'un bruit ou une odeur suffit pour réveiller le souvenir des atrocités. Ceux qui ont vécu de telles expériences souffrent de stress post-traumatique. Selon les estimations, un réfugié ou demandeur d'asile sur deux est concerné.
On ne dispose pas de chiffres fiables pour la Suisse, mais il est reconnu que l'offre de soutien psychothérapeutique est bien inférieure à la demande. Selon une étude mandatée par la Confédération en 2013, il manquait 500 places de thérapie. Les listes d'attente sont donc très longues: il faut parfois patienter un an avant d'être pris en charge.
Or, la hausse du nombre des demandes d'asile - et le pays d'origine des requérants - ne peuvent qu'aggraver la pénurie, comme le soulignent les cantons. De plus, les experts estiment que les migrants qui arrivent en Suisse sont en moins bonne santé qu'il y a quelques années.
Huit ans avant la thérapie
Parfois, des années passent avant que la maladie ne soit diagnostiquée, car les souvenirs des traumatismes sont consciemment évités. Et la souffrance psychologique est beaucoup moins visible qu'une blessure physique. Elle se traduit souvent par des troubles somatiques, comme des maux de tête ou d'estomac.
'Il est fréquent que les personnes qui s'adressent à nous ne désirent pas parler de leur expérience', dit Matthis Schick, directeur du service pour les victimes de guerre et de torture à Zurich, l'un des cinq de Suisse. Une réaction naturelle: personne n'a envie de se confronter à nouveau à un traumatisme. 'Il nous faut dès lors expliquer pourquoi il est important de travailler sur ces événements traumatisants'.
Il arrive que des migrants renoncent à recevoir de l'aide parce que les expériences vécues sont rattachées à des sentiments de honte et de culpabilité, ou parce qu'ils craignent des sanctions de la part de leur entourage. La violence sexuelle est particulièrement stigmatisée: la victime est souvent considérée comme responsable du viol.
Interprètes amateurs
En moyenne, une personne traumatisée commence une thérapie seulement huit ans après son arrivée en Suisse. En cause, notamment, la barrière linguistique, selon M. Schick. 'Les réfugiés communiquent généralement mal dans le domaine des soins de base et de nombreux médecins sont peu sensibilisés à ce fait'.
Le psychiatre est souvent contraint de faire appel à un interprète. Grâce à des ressources extérieures, la clinique de Zurich a mis en place son propre service de traduction qui forme de façon ciblée des interprètes et propose des supervisions.
'Nous sommes privilégiés par rapport à d'autres institutions', affirme Matthis Schick. Le financement d'interprètes dans le domaine de la santé est une question non résolue. Selon un arrêt du Tribunal fédéral, les caisses maladie et les autres fournisseurs de prestations ne sont pas obligés de prendre en charge ces coûts.
En effet, les traductions ne sont pas considérées comme un traitement médical. On fait alors souvent recours à des interprètes amateurs. Il arrive même que la personne soignée demande à son enfant de traduire.
Des malentendus avec de graves conséquences peuvent survenir. M. Schick en a fait l'expérience à plusieurs reprises. 'Une erreur de traduction a conduit une femme à avorter sans le vouloir'.
Selon le médecin, lorsqu'on fait appel à des interprètes non qualifiés, c'est comme si un chirurgien disait à son patient avant l'opération: 'Malheureusement, nous n'avons pas de bistouri, apportez donc votre couteau de cuisine'.
Question du financement
La question financière est également à considérer. A court terme, l'Etat gagne à renoncer à des interprètes professionnels. Mais le traitement insuffisant de migrants traumatisés occasionnera à long terme à des coûts beaucoup trop élevés, prévient M. Schick 'Finalement, ces personnes risquent de devenir des assistés souffrants de maladies chroniques'.
Par le passé, les cantons se sont montrés réticents à affronter la situation. En 2010, la Conférence des directeurs cantonaux de la santé (CDS) leur a recommandé d'inclure les services d'interprétation dans les conventions avec les hôpitaux en tant que services d'intérêt public.
Mais la plupart des cantons ne subventionnent toujours pas les services d'interprétation dans le domaine de la santé, a écrit en décembre 2016 le gouvernement zurichois en réponse à un postulat du Parlement cantonal. Interrogée sur la question, la CDS indique qu'elle ne dispose pas d'un aperçu de la situation dans les différents cantons.
Confédération et cantons ont entre-temps reconnu la nécessité d'agir. L'Office fédéral de la santé examine actuellement si et comment le financement des services d'interprétation pourrait être réglé de manière uniforme. Les cantons cherchent une solution au niveau fédéral, ce qui conduirait une plus grande sécurité juridique et à davantage d'égalité, fait valoir la CDS.
/ATS