Une vingtaine de procédures pénales ont été ouvertes depuis 2010 contre des prêtres et religieux catholiques pour abus sexuels, comme le révèle une enquête de l'ats. Un chiffre qui interpelle, comparé aux 172 agresseurs recensés en Suisse par l'Eglise elle-même.
La différence est de taille. Certes, de nombreux suspects sont déjà morts, les actes incriminés remontant parfois jusqu'à 1950. Mais, et la Conférence des évêques suisses (CES) le précise, d'autres se sont carrément révélés 'introuvables'. Impossible donc de savoir s'ils se trouvent à nouveau en contact avec des victimes potentielles.
La faible proportion des poursuites judiciaires s'explique par un autre élément: les diocèses ont livré des informations 'très lacunaires', notamment pour la période 1950-1980, poursuit le prêtre Joseph Bonnemain, secrétaire de la commission spécialisée de la CES 'Abus sexuels dans le contexte ecclésial'. Pour différentes voix proches des abusés, il ne fait aucun doute que certains membres du clergé couvrent des confrères.
Du côté du diocèse Lausanne-Genève-Fribourg, l'évêque Charles Morerod se borne à demander 'qu'on lui communique' les cas qui lui ont échappé. Et de marteler: 'J'ai dit et je redis que toute accusation portée contre un prêtre ou un laïc travaillant pour l'Eglise et actuellement vivant sera immédiatement portée à la connaissance de la justice.'
Mais cette transmission aux autorités judiciaires se déroule sous certaines conditions, souligne la CES. Les diocèses ne peuvent en effet déférer les cas que si les abusés présumés donnent leur accord. Et la majorité de ceux-ci 'ne voulaient pas entreprendre de démarche en justice', affirme M. Bonnemain. Au total, 193 personnes ayant subi des agressions ont été recensées par les évêques.
Risque de récidive
La hiérarchie catholique n'alerte les autorités civiles directement, soit sans le consentement de la victime, que dans un seul cas de figure. Il faut qu'elle ait identifié 'un risque de récidive'.
Ce mode d'action diverge clairement de celui de la justice. Le Code pénal prévoit en effet des poursuites d'office pour la plupart des agressions d'ordre sexuel.
'Traumatisées à vie'
Au final, sur la vingtaine d’abuseurs présumés qui ont dû se confronter aux juges, onze procédures ne découlent pas d’une démarche d'un diocèse, mais d’une plainte déposée par une victime ou ses représentants. La CES admet ne pas connaître l'issue des enquêtes.
Elle ajoute toutefois que, dans certains cas où aucune procédure n'est lancée, il arrive que les autorités religieuses prennent des mesures disciplinaires. Neuf prêtres ont ainsi été suspendus, tandis que trois autres curés ont dû suivre une thérapie.
Le temps s'étant écoulé entre certains actes et la reconnaissance du problème par l'Eglise il y a quelques années, la justice a dû constater la prescription de nombreux faits. 'Il n'empêche que des dégâts ont été causés, des victimes traumatisées à vie, que la responsabilité de l'Eglise est engagée et qu'une réparation s'impose', souligne Jacques Nuoffer, lui-même victime et membre de la commission spécialisée de la CES 'Abus sexuels dans le contexte ecclésial'.
Pas une commission 'bidon'
'Nous avons besoin d'une instance dédiée, mais pas d'une commission 'bidon' comme 'SOS Prévention'', qui avait été mise en place par le diocèse Lausanne-Genève-Fribourg dans la foulée des révélations. Psychologue et cofondateur avec Marie-Jo Aeby et Gérard Falcioni du Groupe de soutien aux abusés par des prêtres de l'Eglise catholique (SAPEC), il appelle à la mise en place d'une structure indépendante.
Soutenue par l'Etat et l'Eglise, elle s'orienterait 'sur le modèle belge'. Son rôle serait 'de permettre un véritable dialogue pour une recherche de conciliation entre les victimes et un représentant de l’Eglise, à défaut de l’agresseur'.
'Accélérer la manoeuvre'
Un groupe tripartite travaille à la création de cet organe. Outre des représentants des victimes et de l'Eglise, il comprend des parlementaires fédéraux, emmenés par Rebecca Ruiz. La conseillère nationale (PS/VD) évoque brièvement une instance de droit privé, 'pour aller vite'.
Elle reconnaît que la question de la réparation financière n'est pas réglée et ne peut annoncer de date concrète pour le lancement. Deux séances ont réuni les participants l'année passée. Ce qui fait dire à une source proche des victimes 'qu'il faudrait accélérer la manoeuvre si l'on veut réellement obtenir quelque chose'.
/ATS