Deux citoyens turcs ont déposé une demande en dommages et intérêts pour au moins 750 millions de dollars contre la Suisse. Ils lui reprochent d'avoir violé un accord bilatéral de protection des investissements, en débloquant et en versant leurs 'investissements' à la Turquie et à des tiers.
L'Office fédéral de la justice (OFJ) a donné ces précisions dimanche en réponse à un article de la 'NZZ am Sonntag'. Cela explique aussi pourquoi la Confédération a fait un appel d'offres pour des prestations d'avocats spécialisés dans le règlement de différends internationaux.
Selon l'OFJ, les deux Turcs ont envoyé aux autorités suisses une 'notification de l'existence d'un différend' le 7 avril 2014. Ils reprochent à la Suisse d'avoir disposé illégalement de leurs comptes en banque, écrit l'OFJ. Comme détenteurs ou du moins ayants droit économiques de ces comptes, ils prétendent être des 'investisseurs' comme les définit l'accord bilatéral de 1988.
Ils font valoir que la Suisse a violé leurs droits en débloquant et en reversant à la Turquie et à des tiers leurs 'investissements' sans qu'il y ait de jugement turc. Ils demandent dès lors des dommages et intérêts pour au moins 750 millions de dollars.
Poursuites pénales en Turquie
Selon l'OFJ, le Ministère public de la Turquie a ouvert une procédure pénale à l'encontre de ces deux Turcs et d'autres personnes pour fraude, abus de confiance et blanchiment d'argent. Il les accuse d'avoir commis des actes frauduleux dans le cadre de la gestion de la banque Türkiye Imar Bankasi T. A. S. et d'avoir détourné l'argent d'épargnants pour un montant de 6,5 milliards de dollars entre 1998 et 2003.
En outre, ils auraient obtenu de manière frauduleuse des crédits de Motorola et de Nokia pour quelque 2 milliards de dollars et ne les auraient pas utilisés comme prévu pour la mise en place d'un réseau mobile en Turquie.
268 millions de dollars restitués
Dès 2005, les autorités turques ont fait parvenir à la Suisse plusieurs demandes d'entraide judiciaires. Ils demandaient à la Suisse de rechercher des documents bancaires et commerciaux, de bloquer et de restituer les avoirs.
Sur la base des demandes d'entraide, en 2009 le Ministère public de la Confédération a restitué 268 millions de dollars au fonds turc protégeant les dépôts des épargnants ainsi qu'à Motorola et Nokia.
L'Office fédéral de la justice note que l'accord contient une clause permettant de faire appel à une instance arbitrale. Après un délai d'au moins douze mois, l'investisseur peut s'adresser au Centre international de règlement des différends sur l'investissement (CIRDI) à Washington.
Pas question de céder
Pour contester les reproches formulés, la Suisse doit le faire devant le tribunal arbitral. Jusqu'à présent il n'y a pas eu de pourparlers avec les demandeurs, vu que la Suisse rejette totalement ces reproches et qu'elle n'envisage en aucun cas un règlement à l'amiable. De plus, les demandeurs ont introduit des procédures d'arbitrage contre d'autres Etats et les ont perdues, écrit l'OFJ.
Quel que soit le scénario - procédure d'arbitrage durant plusieurs années ou abandon de la procédure -, d'intenses travaux préparatoires seront nécessaires, même si aucune plainte n'est déposée. L'OFJ a donc mis en place une unité spéciale et a fait appel à un cabinet d'avocats spécialisé dans les procédures internationales d'arbitrage. Le choix se fera vraisemblablement la semaine à venir.
C'est la première fois que la Suisse se trouve impliquée dans une procédure concernant la protection des investissements, précise encore l'OFJ.
/ATS