On apprenait dimanche dernier que quatre personnes étaient touchées par le Coronavirus dans le Jura. Quatre cas liés, selon les autorités, au même foyer épidémique : un rassemblement religieux évangélique qui s’est tenu à Mulhouse, en France voisine, entre le 17 et le 24 février. À cette période, la France n’avait encore annoncé aucune mesure et les personnes infectées ne savaient probablement pas qu’elles l’étaient. Ce qui n’a pas empêché une avalanche de commentaires sur les réseaux sociaux. Jérémie Pignard, après les avoir lus, a aiguisé sa plume pour la tremper dans le goudron.
Le commentaire de Jérémie Pignard
"J’ai été attristé, atterré par certains propos nauséabonds, teintés parfois d’une certaine violence. « Et maintenant ils ont semé la maladie à tout va ! » peut-on lire sous un article de nos confrères de France Bleu. « Peuvent pas rester chez eux au lieu d’aller dans des endroits contaminés, ces égoïstes ! » renchérit une autre internaute. On voit bien le thème se dessiner. Le virus a beau toucher à peu près le monde entier, certains trouvent là le moyen de cibler ces chrétiens, ces évangéliques qui ont eu le culot de se réunir dans une église puis de propager la maladie. Puis, quand on apprend que quatre cas dans notre canton sont aussi liés à ce rassemblement, je sombre dans une profonde consternation en lisant les commentaires de Jurassiens, cette fois, sur les réseaux sociaux. « La région est infectée par le mouvement évangélique ». « À enfermer, et plus tard à interdire ! » hurle un autre. « Ne reste plus qu’à prier pour qu’ils soient tous atteints ! », vocifère cet internaute acerbe. J’arrête là. Je n’en peux plus. J’ai compris.
L’ennemi, ce n’est plus la maladie. Mais le malade. On se trompe, volontairement, de cible. On saisit au vol cette information pour laisser libre cours à son ressentiment envers une communauté. En se disant que les événements rendent cette haine un peu plus légitime. C’est oublier que le même phénomène de contamination aurait pu se produire à la suite d’un mariage où tout le monde se connaît et se salue chaleureusement. Ou encore lors d’un concert au Hallenstadion à Zurich. C’est oublier que le Covid-19 n’a ni nationalité, ni religion. Il n’est pas plus Chinois qu’Italien. Pas plus chrétien que musulman, athée ou agnostique, que sais-je encore. Et il se fout bien de qui est de gauche ou de droite.
Oh je sais bien, d’aucuns se cacheront derrière l’humour. Quelle planque magnifique, le fameux « c’était pour rire » ! C’est tellement drôle que le Code pénal suisse y a consacré son article 261 bis : « Celui qui, publiquement, aura incité à la haine envers une personne ou un groupe de personnes en raison de leur appartenance religieuse », ça y ressemble non ? Et bien ça peut valoir jusqu’à trois ans de prison !
Mais l’idée n’est pas d’en arriver là, pas de jeter les auteurs de ces commentaires discriminants au cachot. Simplement de savoir tirer quelques enseignements du passé. Lors de peste noire au XIVe siècle, ce sont les juifs qui ont été accusés de propager la maladie. Aujourd'hui encore dans de nombreux pays, des fidèles sont enfermés, tués parfois, en raison de leur foi qui dérange. Alors on ne va pas laisser ces discours prendre racine, de peur qu’ils ne mutent – oui comme un virus - en persécutions dans dix, vingt ou cinquante ans. Alors on ne va pas faire les mêmes erreurs. On va se réjouir avec ceux qui guérissent. On va compatir avec ceux qui souffrent. Si notre voisin ou collègue est en quarantaine ? Qu’il soit Italien, Chinois, même évangélique s’étant rendu au rassemblement de Mulhouse, on va lui proposer de faire ses courses. Mais gardons-nous de propager un virus bien plus dangereux et sournois. Celui de la haine. Celui qui, il y a 80 ans, nous a menés aux heures les plus sombres de notre Histoire." /jpi