Une édition critique des carnets de guerre du capitaine Willy Sunier est récemment sortie de presse. Elle permet de découvrir le quotidien des soldats mobilisés à Saignelégier pour garder la frontière à partir de 1939
Les archives cantonales jurassiennes ont coédité avec la Société jurassienne d’émulation (SJE) les carnets de guerre du capitaine Willy Sunier, soldat suisse mobilisé durant la Seconde Guerre mondiale. L’ouvrage vient compléter la collection d’histoire « Rouge & Or » de la SJE.
Tout a commencé en 2014, lorsque la fille de Willy Sunier a fait don des carnets de son père aux archives cantonales jurassiennes. « Lorsque j’ai reçu ce coup de téléphone, j’y suis allé immédiatement, raconte Antoine Glaenzer, archiviste cantonal. Mais mes connaissances militaires étant ce qu’elles sont, et pour bien comprendre ces sources, je me suis approché d'Hervé de Weck qui bénéficie de la double casquette de militaire et d’historien et qui a contextualisé les documents.
Près de mille pages et 80 illustrations
Ce sont donc 11 carnets qui ont été intégralement édités. Cela représente 967 pages et plus de 80 illustrations. Une chose rare puisqu’en général, ces documents sont conservés dans les archives fédérales. « C’est à ma connaissance la seule édition intégrale de carnets de guerre francophones », explique Hervé de Weck. Les documents sont accompagnés d’une introduction critique rédigée par Antoine Glaenzer et Hervé de Weck. La préface est signée Alexandre Vautravers, rédacteur en chef de la Revue militaire suisse.
Des carnets militaires plus personnels et illustrés
Les 11 carnets sont une véritable mine d’or d’informations historiques sur la vie et le quotidien des soldats jurassiens mobilisés à Saignelégier pour garder la frontière. La tenue de ces carnets était ordonnée par l’armée. La manière d’y consigner les événements et les activités était précisément règlementée. Cependant, les documents de Willy Sunier dérogent un peu à la règle. « Une routine s'installe peu à peu et la hiérarchie se désintéresse des carnets de Sunier, explique Antoine Glaenzer. Il commence alors à prendre un peu son indépendance et écrire de manière plus personnelle. » Pas de quoi en faire un journal intime pour autant, mais Willy Sunier se permet de critiquer son commandement, agacé par certains ordres contradictoires. Il critique également ses soldats, trop souvent ivres et indisciplinés. Ces carnets deviennent un exutoire pour le captaine et racontent sa vision de la mobilisation.
Les écrits de Willy Sunier témoignent aussi de l’ennui et de la routine qui s’installe dans les rangs helvétiques dans les Franches-Montagnes. Et puis survient la débâcle de 1940 et avec elle l’arrivée des troupes françaises qui fuient leur pays. « A ce moment-là, la peur s’installe réellement face au risque d’invasion allemande » expliquent Antoine Glaenzer et Hervé de Weck.
Antoine Glaenzer : « Le moment le plus marquant est incontestablement la débâcle »
De nombreuses illustrations
La singularité des carnets de Willy Sunier vient également du fait qu’ils comportent plusieurs illustrations de Richard Degoumois, soldat originaire de Tramelan. Elles traitent, parfois avec ironie, des événements qui ont lieu sur place ou plus loin dans le monde et ponctuent les pages souvent austères des rapports faits par Sunier. On peut voir par exemple un soldat chasser une vache d’un champ de tir, ou les célébrations du 1er août 1940 avec Saignelégier en toile de fond. Dans la présente édition, les 82 illustrations ont été intégrées de manière à respecter leur emplacement dans les documents originaux.
Critique dans ses écrits, Willy Sunier encourage également la publication d’un journal satirique et artisanal du bataillon frontière de fusiliers 222 intitulé « Le Sac à pain » . « Ce journal a une indépendance d’esprit qui était rarissime dans l’armée. On y écrit des rosseries sur les supérieurs. Le but était de maintenir le moral en faisant rire ou sourire le lecteur, » explique Hervé de Weck.
« Des toiles de camouflage signées Coghuf »
Les carnets de Willy Sunier permettent aussi de révéler quelques anecdotes qui peuvent faire sourire. Par exemple, on apprend que parmi les soldats mobilisés figurait un certain Coghuf, de son vrai nom Ernst Stocker. Artiste aujourd’hui connu et reconnu, il a dû se plier aux priorités militaires et a donc été chargé de peindre plusieurs dizaines de toiles de camouflage. « Des toiles signées Coghuf, » s’amuse Antoine Glaenzer. Mais les talents d’Ernst Stocker ont toutefois été mis en valeur puisqu’il a aussi participé à orner les salles du foyer du soldat avec des peintures.
L’ouvrage « Journaux de guerre 1939-1944 : Capitaine Willy Sunier » sera verni vendredi soir à 18h au Musée de St-Imier. /tna