Mark Zuckerberg, le patron de Meta a annoncé la semaine passée qu’il mettait fin aux programmes de vérification des faits sur les plateformes Instagram et Facebook. Il faut s’attendre à un retour en force de la désinformation, estime Nathalie Pignard-Cheynel directrice de l’Académie du journalisme et des médias à Neuchâtel.
Meta raye ses programmes de vérification des faits. C’est ce qu’a annoncé le patron de la Tech Mark Zuckerberg la semaine passée sur ses réseaux sociaux. Cette annonce concerne les politiques de modération des plateformes Facebook et Instagram. Introduit en 2016 en réaction aux critiques contre Meta et sa mauvaise gestion des fake news, notamment lors des présidentielles américaines, la suppression de ce système est un bond en arrière dans la politique de modération de ces plateformes. Ce programme sera remplacé par des « Community notes », copiées du modèle X, anciennement Twitter. Ce système consiste à signaler et à apporter de la contextualisation et des éléments supplémentaires à certaines informations, mais ce sera désormais à la communauté de le faire. « C’est vraiment une manière de déléguer cette faculté de vérification aux utilisateurs », explique Nathalie Pignard-Cheynel, directrice de l’Académie du journalisme et des médias à l’Université de Neuchâtel. Cette nouvelle méthode permettra-t-elle vraiment de remplacer le « fact-checking » ?
Nathalie Pignard-Cheynel, directrice de l’Académie du journalisme et des médias à l’Université de Neuchâtel : « C’est un travail qui peut être assez complexe. »
Même si cette directive ne s’appliquera pour le moment qu’aux États-Unis, elle risque de s’étendre en Europe et notamment en Suisse. « On a vu dans l’historique de ces plateformes qu'une décision prise dans un pays pouvait parfois s’étendre à d’autres », précise Nathalie Pignard-Cheynel. Et d’ajouter que l’Europe jouit pour le moment d’une forme de protection au travers du « Digital services act ». « Cette réglementation impose des règles assez strictes aux plateformes en matière de modération des contenus. »
« On peut s’attendre à plus de désinformation »
Cet abandon du « fact-checking » ouvre à nouveau la porte aux fausses informations, à la mésinformation, mais aussi à des contenus plus idéologiques et polarisés sur ces plateformes. « Cela s’accompagne d’un mouvement plus global sur la mise en avant de la liberté d’expression défendue par Donald Trump et Elon Musk. On ouvre vraiment plus les vannes de l’expression, quelle qu’elle soit. », précise la directrice.
Les manières de consommer de l’information vont sans doute être changées par ces nouvelles perspectives. « Les gens s’informent aujourd’hui beaucoup via ces plateformes et cette tendance n’est pas à la baisse. On y trouve aussi des canaux et des sources fiables », estime Nathalie Pignard-Cheynel. Cependant, la part des sources douteuses va augmenter, l’espace d’information va se complexifier et le tout sera moins régulé.
« Peut-être que ça pourra renforcer le rôle des médias. »
« Dans ce contexte-là, une des priorités sera de faire un travail un peu plus individuel que l'on qualifie parfois d’éducation aux médias et au numérique », estime Nathalie Pignard-Cheynel. Et d’ajouter qu’il faut apporter aux utilisateurs plus de compréhension sur ces mécanismes : qu’est-ce qu’une information ? Comment identifier une source ou comment la recouper ? etc. « En gros permettre à tous ceux qui souhaiteraient entreprendre ce travail individuel de « fact-checking » de le faire », conclut la directrice.
Vers un abandon des plateformes ?
Lorsque X, anciennement Twitter, était tombé aux mains d’Elon Musk, de nombreux utilisateurs (entre 10% et 15%) avaient déserté la plateforme. Il est donc possible qu’un mouvement semblable se produise pour Facebook, Instagram et WhatsApp. Nathalie Pignard-Cheynel relativise, car ces plateformes ont su se rendre indispensables dans le quotidien personnel, mais aussi professionnel des utilisateurs. « À ce stade, je ne suis pas certaine que ce soit un mouvement très massif qui se dessine. »
Il existe d’autres moyens de prévenir cette désinformation à tout un tas d’échelles : médiatique, juridique et éducationnelle. « La réaction se fait à plein de niveaux », rassure Nathalie Pignard-Cheynel. Et d’ajouter que le plus important est d’informer la population afin de lui expliquer le rôle, le poids de ces plateformes et les conséquences que peuvent avoir ce genre de décisions dans notre espace public et notre démocratie. \crb