Les Archives de l’ancien Évêché de Bâle rendent accessible en ligne 160'000 pages de documents historiques sur le thème fascinant « Crimes et châtiments », résultat d’un travail colossal de transcription rendu possible grâce à l’IA.
Les procès de crimes en tout genre et de chasse aux sorcières attisent toujours les curiosités. Les Archives de l’ancien Évêché de Bâle (AAEB) l’ont bien compris, d’autant que cette région historique (à cheval sur les cantons du Jura, de Berne et des deux Bâle) regorge particulièrement de ce genre de récits. Un travail colossal de numérisation va permettre la mise en ligne de quelque 160'000 pages de procès criminels et de sorcellerie compris entre 1461 et 1797, soit entre la fin du Moyen Âge et la Révolution française. « Cela en fait le plus corpus numérique au monde en langue française sur les périodes du XVIe et XVIIe siècle », avance le président de la fondation des AAEB Arthur Bisseger.
Une transcription via l’IA puis corrigée par des paléographes
Pour que le grand public puisse lire et déchiffrer ces écritures cursives anciennes, en allemand comme en vieux français, un imposant travail de transcription, encore non achevé, a été nécessaire. « On a fait le pari dans ce projet d’utiliser l’intelligence artificielle et de développer nous-même des modèles qui permettent de faire la transcription automatique de ces documents du XVIe et XVIIe siècle. En langue française, il n’existait rien, on a donc été un peu des pionniers en la matière. On a surtout eu besoin de développer de la vérité de terrain, c’est-à-dire des données qui permettent d’entraîner ces modèles et les améliorer. Pour cela, on a besoin de paléographes, donc un humain qui apporte derrière des corrections », explique Élodie Paupe, cheffe du projet « Crimes et châtiments ».
Elodie Paupe explique comment ces documents historiques ont été transcrits
Certains documents n’ont actuellement subi qu’une « transcription automatique » via la plateforme de reconnaissance de texte et d’analyse d’images de documents historiques Transkribus, développée par l’université d’Innsbruck. D’autres bénéficient déjà d’une transcription corrigée, le reste du travail s’étalant jusqu’à 2026. « La quasi-totalité du corpus lié au thème de la chasse aux sorcières est actuellement déjà disponible, soit environ 5'000 pages », relève le conservateur des AAEB Jean-Claude Rebetez, par ailleurs historien et paléographe.
En ligne, via les fonds numérisés sur Transkribus, qui nécessite une certaine prise en main, vous pouvez désormais visualiser le document original (difficile à déchiffrer pour les non-initiés) et sa transcription. On y découvre alors des récits étonnants, par exemple lorsqu’une Madeleine Langel de Courtelary déclare que voyager sur un balai n’est pas si facile, affirmant n’y être jamais parvenue, même si une vieille sorcière lui a montré comment prendre son envol, faire quelques pirouettes puis sortir de la maison par la cheminée pour se rendre au sabbat par la voie des airs.
Jean-Claude Rebetez : « L’ancien Evêché de Bâle est une des régions où le phénomène de chasse aux sorcières a été le plus important. »
Des recherches possibles par nom, village, canton...
« Il y a plein de choses de cet ordre, on trouve de tout. Ce qu’elles avouent, c’est d’abord sous la torture, et ensuite c’est ce qu’elles s’imaginent. Certaines mettent un peu de fantaisies, pensant qu’avouer qu’elles n’ont pas réussi à faire voler le balai provoquera une certaine indulgence envers elle », sourit Jean-Claude Rebetez qui n’hésite pas à parler de « délire collectif » pour qualifier la « culpabilité imaginaire » de ces femmes et quelques rares hommes accusés. « Chacun pourra, en recherchant par nom de famille ou par village, chercher si ses ancêtres ont été accusés de sorcellerie ou d’autres crimes. Ces possibilités pourraient attirer des gens qui ne mettraient jamais les pieds aux archives », lâche le conservateur. Sur le site de l’AAEB, un tableau liste par ailleurs les 987 victimes (873 femmes, 107 hommes, 7 inconnus) de la chasse aux sorcières dans la région. Nul doute que plusieurs curieux ne manqueront pas d’aller « beuiller » pour rechercher quelques noms ou ancêtres connus. /jpi