La justice en visio, le progrès de trop ?

Le Conseil fédéral prévoit la possibilité pour les tribunaux de mener des audiences civiles ...
La justice en visio, le progrès de trop ?

Le Conseil fédéral prévoit la possibilité pour les tribunaux de mener des audiences civiles en vidéoconférence dès 2025. Dans le Jura, juges comme avocats émettent des réserves

La visio pourrait bousculer les habitudes et principes des tribunaux. (Photo : illustration) La visio pourrait bousculer les habitudes et principes des tribunaux. (Photo : illustration)

La justice rendue en visio-conférence pourrait devenir plus fréquent dès 2025. Le Conseil fédéral a en effet ouvert cette semaine une consultation sur la révision du code de procédure civile, avec la possibilité pour les tribunaux de mener des audiences en vidéo-conférence dès le 1er janvier l’année prochaine. La téléconférence, uniquement en audio, serait aussi possible dans certains cas urgents.


« L’impression qu’on va perdre l’ambiance d’une salle d’audience »

Ce type de dispositif avait notamment trouvé sa place dans le milieu de la justice durant les circonstances exceptionnelles de la période Covid. Ancrer la possibilité de rendre la justice en visio-conférence dans le code de procédure civile, et donc ouvrir une plus grande porte à cette pratique, suscite quelques craintes chez le Bâtonnier du tribunal de Porrentruy.

Me Manuel Piquerez : « L’attitude peut être totalement différente »

« J’ai l’impression qu’on va perdre l’ambiance d’une salle d’audience, les émotions, les voix, on va perdre cette immédiateté de la justice. Dans la recherche d’une solution amiable, on aime bien échanger coup sur coup, parole contre parole. Or, dans une visio-conférence, on doit laisser l’espace à celui qui s’exprime sans interférence. Autre exemple, dans le cadre du recouvrement d’une créance, quand le débiteur est confronté directement au juge dans une même salle et qu’il doit répondre à son créancier, l’attitude est totalement différente », expose Maître Manuel Piquerez, président de l'Ordre des avocats.


Réservé à des cas exceptionnels

Du côté des juges jurassiens, le président du Tribunal de 1re instance à Porrentruy admet que cette justice délocalisée peut venir bousculer certains grands principes. David Cuenat tient cependant à rassurer et estime que la visioconférence doit être réservée à des cas exceptionnels. « Il ne faut pas surestimer la portée de cette révision. Elle vient juste clarifier le fait que l’on peut y recourir. Le juge est libre d’en faire usage ou non et d’en définir les modalités. Mais c’est vrai que cela peut être utile si la partie est à l’étranger, si elle est malade, à l’hôpital ou très âgée ou pour d’autres justes motifs. A mon sens, cela permet dans certains cas de rendre la justice dans des délais plus courts ou d’éviter une dispense de comparaître. Mais ça n’a pas vocation à devenir la règle », explique David Cuenat pour qui « le contact humain demeure essentiel, surtout dans le domaine judiciaire ».

David Cuenat : « Pas vocation à devenir la règle »

La révision ne porte que sur la procédure en matière civile. Mais dès lors que la porte est ouverte, ne risque-t-on pas à l’avenir de voir la technologie débarquer aussi dans les procès au pénal ? « Pour l’instant, on ne parle que du civil. Mais une fois que le principe est admis, je doute que ça ne s’étende pas au-delà. Et au pénal, ça posera de très gros problèmes parce que là, on touche à la dimension humaine », craint le Bâtonnier de l’Ordre, Manuel Piquerez. « Imaginons le témoin isolé devant son ordinateur. On ne maîtrise pas son environnement. Donc il faudrait envoyer une équipe chez lui pour s’assurer que son témoignage n’est pas pollué, que personne ne lui dicte quelque-chose ou lui fait des signes ? Il faudra bien encadrer tout ça, et commencer avec des petits cas », détaille Me Piquerez qui n’aimerait pas troquer l’art et la passion pour la plaidoirie pour une webcam… même s’il se dit prêt à « vivre avec son temps ».

Me Manuel Piquerez craint de voir la visio débarquer au pénal

Le tribunal de Porrentruy est, lui, déjà équipé de la logistique nécessaire pour assurer des audiences par visio-conférence, y compris vis-à-vis du public pour respecter le principe de publicité de la justice. Récemment, le procès de la fusillade à Delémont avait par exemple nécessité d'ouvrir une seconde salle pour le public avec les débats retransmis en vidéo. /jpi


 

Actualités suivantes

Articles les plus lus