Des collaborateurs brisent le silence sur les départs au sein du DFCS

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Des collaborateurs brisent le silence sur les départs au sein du DFCS

Une question écrite de la députée verte Pauline Godat interroge le Gouvernement sur les départs ces dernières années au sein du Département jurassien de la formation, de la culture et des sports (DFCS). D’anciens et actuels collaborateurs mettent en cause le management du ministre Martial Courtet qui a accepté de réagir à ces allégations.

Le Département de la Formation, de la culture et des sports fait l'objet d'une question écrite après de nombreux départs. Le Département de la Formation, de la culture et des sports fait l'objet d'une question écrite après de nombreux départs.

Les démissions à répétition ces dernières années au sein du Département jurassien de la formation, de la culture et des sports (DFCS) interrogent la députée Pauline Godat (Les Vert-e-s) qui a déposé une question écrite devant le Parlement. Une motion du député suppléant Raoul Jaeggi (PVL Jura), en 2023, demandait déjà une commission d’enquête suite à des départs au sein de l’État, texte finalement retiré pour laisser le dossier aux mains de la Commission de gestion et des finances. Deux chefs du Service de la formation postobligatoire, Jean-Pascal Lüthi et Manuel Donzé, ont déjà démissionné ces trois dernières années. En mars, c’est la déléguée intercantonale à la formation, Jackie Vorpe, qui a dit stop à la surprise générale après à peine un an et demi de fonction. Le chef de l’Office des sports, Vincent Pilloud, a quitté son poste en juillet dernier. Selon de nombreux témoignages récoltés, bon nombre de ces départs sont directement liés au climat au sein du DFCS.

« J’adorais ce que je faisais, je ne suis pas parti à cause d’une surcharge de travail, ni pour des raisons de santé, je suis parti à cause d’un seul homme », confie cet ancien collaborateur, visant directement le ministre. Selon plusieurs sources concordantes d’anciens et actuels membres du département, trois des quatre fonctionnaires cités dans la question écrite sont partis en raison d’une dégradation de leur relation avec Martial Courtet. « C’est le ministre qui a voulu qu’ils partent », souffle un collaborateur. L’un des démissionnaires témoigne : « On m’a fait comprendre qu’il fallait démissionner en me disant que j’étais devenu incompatible avec le ministre. » Une dizaine de sources dénoncent et confirment une « pression permanente » mise sur les chefs de service, des réprimandes régulières pour ce qu’elles qualifient de « détails ». Un ancien collaborateur évoque des foudres « pour un mail pas présenté comme il le souhaitait », un autre pour un « courrier postal sans lien avec la stratégie opérationnelle qui n’est pas parti le jour-même ». « La pression est souvent liée à ce qui fait l’actualité dans les médias », précise un collaborateur actuel. « Parce que le ministre se focalise sur son image et la communication qui pourrait découler des actes », glisse encore un autre fonctionnaire. « Mon travail est d’être exigeant avec moi-même, et je le suis aussi avec les autres. Nous avons beaucoup de pression. Je suis là pour que ça fonctionne et j’ai un management assez direct. Je demande à mes équipes d’être orientées résultats, et quand les personnes ne le sont pas, je pense que c’est mieux qu’elles partent. Mais j’en profite pour remercier tous les autres que vous ne citez pas et qui font un excellent travail », réagit Martial Courtet, invité à s'exprimer dans le journal de 12h15.

Martial Courtet « reconnaît » un management dur

Un ancien membre du département décrit des bilatérales houleuses. « Le dimanche soir, veille de ces réunions en tête à tête avec le ministre, il y avait des chefs de service qui pleuraient, par peur », décrit-il en évoquant avoir ressenti une « terreur sur les gens complètement aberrante ». Témoignage confirmé par un autre collaborateur qui se souvient d’un chef « livide au moment d’aller à ces réunions ». Un ancien collaborateur confie, comme d’autres, avoir remonté ces problèmes aux ressources humaines, sans suite. Pourquoi ne pas être allé plus loin ? « Parce qu’il y a une grande peur pour son emploi », résument les fonctionnaires interrogés. L’un d’eux avoue même avoir travaillé avec un coach pour gérer ces situations délicates et a refusé de se mettre en arrêt maladie malgré les conseils de son médecin. Une attitude colérique est également évoquée dans certaines réunions avec plusieurs personnes. « Tout à coup vous avez un ministre qui hurle », raconte ce même ex-collaborateur. Un témoin confirme et dit « s’être senti mal à l’aise ». Sur le management dur qui aurait usé certains collaborateurs, le ministre avoue : « oui, je le reconnais ». Certaines sources interrogées reconnaissent n’avoir rien subi de répréhensible de la part du ministre, toutes confient en revanche avoir connaissance des problèmes de management au sein du département.

Le bâtiment Strate J à Delémont abrite le DFCS. Le bâtiment Strate J à Delémont abrite le DFCS.

La représentation du Jura au sein d’organes intercantonaux en question

Dans sa question écrite, Pauline Godat évoque la démission « surprenante » de Jackie Vorpe, « dont les compétences étaient saluées et qui était appréciée dans les organes intercantonaux ». Une cote confirmée par plusieurs membres de la Conférence suisse des directeurs cantonaux de l'instruction publique (CDIP) et de la conférence latine (CIIP). « Elle faisait l’unanimité et avait un bon contact avec ses homologues », relève l’un des membres. Un collaborateur jurassien estime que le département a « perdu une sommité, parce qu’on a un ministre qui ne supporte pas qu’on lui fasse de l’ombre ». Si les témoignages sont unanimes pour louer le bagage technique de Jackie Vorpe, certains collaborateurs avancent toutefois des manques dans « sa vision politique et financière », mais précisent que la déléguée intercantonale n’avait pas de cadre clairement fixé ni de réunion bilatérale avec le ministre.


« Sur mon absentéisme, ce sont des mensonges »

Selon plusieurs sources concordantes proches de ces organes, le ou la délégué(e) intercantonal(e) à la formation ou des chefs de service ont été régulièrement amenés à siéger dans ces instances, y compris dans des réunions de conseillers d’État. « On a vu quatre représentants différents en quelques années, ce n’est pas très crédible pour le Jura », souffle l’un des membres de la CDIP. Plusieurs sources évoquent un ministre « régulièrement absent », mais, au vu de procès-verbaux de ces assemblées plénières et comités de ces organes que nous avons consultés, cette allégation n’est statistiquement pas établie. « Ça, ce sont des mensonges. À la CIIP, j’ai manqué deux séances en 10 ans, et j’en ai manqué 5 à la CDIP (NDLR : chiffres qui concernent les assemblées plénières selon son secrétariat, ne sont pas comprises les séances de comité) alors que des conseillers d’Etat que l’on voit une fois sur deux se font régulièrement représenter par leur secrétaire général. On ne peut pas me reprocher de ne pas être un gros travailleur. C’est un mensonge et cela enlève du crédit à ces allégations », rétorque le ministre.

« On ne peut pas me reprocher de ne pas être un gros travailleur », se défend Martial Courtet. (Photo : Georges Henz). « On ne peut pas me reprocher de ne pas être un gros travailleur », se défend Martial Courtet. (Photo : Georges Henz).

En revanche, suite à la démission de Jackie Vorpe, la conférence des secrétaires généraux de la CIIP s’est inquiétée dans une lettre envoyée au canton de la continuité de la représentation jurassienne et du suivi des dossiers. Au sein de l’administration, plusieurs ont refusé le poste, finalement dévolu à Gabriel Willemin qui ne restera pas puisqu’il a accepté une nomination comme directeur de l’École professionnelle commerciale de Lausanne.


Un sentiment « de peur » remonté au sein de l’enseignement

Plusieurs enseignants évoquent un sentiment global « de peur ». Lors de prises de position en réunion des maîtres, les noms de voix discordantes sont parfois notés, suivi d’une remontrance dans les jours suivants. « On ne se sent pas en sécurité », résume un enseignant. « Je suis assez surpris. J’ai un discours cash, mais je n’ai pas vu de peur chez les enseignants. Dans les réunions de maîtres, on m’a dit beaucoup de choses, parfois aussi désagréables, mais on était dans le dialogue. On m’a même applaudi. On ne peut pas satisfaire tout le monde, mais on a toujours été orienté solution », relève le ministre. Plusieurs sources politiques évoquent aussi des cas de députés-fonctionnaires qui se sont vus rappeler à leur devoir de réserve pour leurs positions devant le Parlement, des cas ayant été remontés au syndicat. 

Selon plusieurs sources, des députés-fonctionnaires ont été rappelé à leur devoir de réserve après des prises de position, ce que le ministre dément. (Photo : Georges Henz). Selon plusieurs sources, des députés-fonctionnaires ont été rappelé à leur devoir de réserve après des prises de position, ce que le ministre dément. (Photo : Georges Henz).

« Je suis souvent très soucieux de respecter l’institution. Ce n’est peut-être pas la meilleure idée que des fonctionnaires soient directement concernés par leur travail et posent des questions sur leur école. Je trouve cela surprenant, mais je ne me suis jamais opposé à ça », se défend Martial Courtet, démentant tout « coup de pression » sur ces personnes. Certains, pourtant, s’estiment « privés de leur liberté » et hésitent à se représenter aux élections. Fait surprenant : tous les membres du groupe CS-POP-Verts qui sont rattachés à l’enseignement ont renoncé à signer la question écrite. Beaucoup évoquent le silence qui règne sur ces sujets dans l’administration comme dans l’enseignement. Mais des langues se délient ces dernières semaines, l’un des démissionnaires dit d’ailleurs parler « pour les collègues qui restent ». /jpi

Enquête et sources anonymes : explications

Cette enquête a été réalisée sur la base de plus d’une vingtaine de sources et témoignages d’anciens et actuels fonctionnaires du DFCS et de l’enseignement sous l’administration du ministre actuel, ainsi que de sources politiques. Toutes ont été anonymisées, mais sont connues de la rédaction. Contactée, l’auteure de la question écrite Pauline Godat n’a pas souhaité nous accorder une interview avant la réponse du Gouvernement.


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