Au début du XIXe siècle, Joseph Alexis Bennot, notable et ancien maire de Delémont, a vendu la précieuse Bible de Moutier-Grandval. Un geste qui éclaire les pratiques de son temps et relance les questions autour de la gestion du patrimoine religieux après la Révolution.
Son portrait attend les visiteurs au cœur de l’exposition temporaire consacrée à la Bible de Moutier-Grandval au Musée jurassien d’art et d’histoire de Delémont. Joseph Alexis Bennot, ancien maire de la ville, est connu pour avoir vendu ce manuscrit carolingien d’une valeur inestimable à Johann Heinrich von Speyr-Passavant, un libraire et antiquaire bâlois. Mais qui était vraiment cet homme au destin lié à un trésor du patrimoine médiéval ?
Réalisée vers 835 à l’abbaye de Saint-Martin de Tours, la Bible de Moutier-Grandval est un chef-d’œuvre de l’enluminure médiévale. Elle fut offerte à l’abbaye de Moutier-Grandval, avant d’être transférée à Delémont après la Réforme protestante, lorsque les chanoines furent contraints de fuir. C’est au début du XIXe siècle que Joseph Alexis Bennot, notable local et ancien avocat du Prince-Évêque, se retrouve en possession du manuscrit. Il finit par le vendre, dans un contexte historique bien différent des préoccupations patrimoniales contemporaines.
Un commerce en pleine explosion
« Le commerce du livre rare et d’art est en plein boom en Suisse et en Europe au début du XIXe siècle. La Révolution française a entraîné la sécularisation des biens du clergé et la séquestration de ceux de l’aristocratie. Elle a aussi débouché sur l’arrivée de ces objets sur le marché du livre », explique Angéline Rais, historienne du livre et co-commissaire de l’exposition avec l’historienne Laurence Marti. La Bible de Moutier-Grandval est un exemple de livre vendu à cette époque, mais parmi des milliers d’autres. »Angeline Rais : « Le concept de patrimoine n'existe pas vraiment à cette époque »
Une vente savamment préparée
Né en 1753 à Delémont dans une famille bourgeoise, Bennot a mené une carrière d’avocat au service du Prince-Evêque. Puis entame une carrière politique sous le régime Républicain. Il est maire de Delémont jusqu’en 1805. « Ses nouvelles fonctions administratives et politiques l’amènent à être responsable de la surveillance et de la vente des possessions des anciennes communautés religieuses. Au passage, il achète certains biens saisis pour son propre compte », précise Angéline Rais.
La manière exacte dont il devient propriétaire de la Bible demeure floue, mais son rôle dans la redistribution des biens ecclésiastiques est bien documenté. « Il connaît très bien le contenu des biens confisqués et sait comment en tirer profit, explique Angéline Rais. On ne sait ni comment ni quand Bennot devient propriétaire de la Bible de Moutier-Grandval, mais ce qui est certain, c’est qu’il connaît très bien la manière dont ont été gérées les possessions des communautés religieuses supprimées. »
« Il a soigneusement préparé la vente »
Un homme de son époque plutôt qu’un voleur de patrimoine
S’il serait anachronique de juger cet acte à l’aune des normes actuelles de préservation du patrimoine, il ne fait aucun doute que Bennot était conscient de la valeur de l’ouvrage. « Je suis certaine qu’il savait que cette Bible était un objet précieux et cher. Sinon, il n’aurait pas cherché à la vendre. » En définitive, la vente de la Bible, loin d’avoir effacé son histoire, l’a peut-être au contraire sauvegardée. « Finalement, sa vente a assuré sa célébrité, sa conservation et la recherche à son sujet », conclut Angéline Rais. /tna